Au quartier général de la DGSE, dans le 20e arrondissement de Paris. (MARTIN BUREAU / AFP)

En exclusivité, la nouvelle loi sur les écoutes de la DGSE

La commission de la Défense de l’Assemblée Nationale rendra publique, jeudi 10 septembre, une proposition de loi très sensible dont « L’Obs » a pu se procurer le texte. Celui-ci définit les modalités d’autorisation et de contrôle des écoutes internationales de la DGSE et de ce fait les légalise pour la première fois.

 

 

Cette proposition de loi (dite « relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales ») fait suite au rejet, le 23 juillet, par le Conseil Constitutionnel des dispositions sur le même sujet inscrites dans la loi sur le renseignement.

L’article avait été retoqué par les Sages au motif notamment qu’il renvoyait à un décret secret (dont « l’Obs » avait révélé l’existence). La représentation nationale n’avait donc pas une idée assez précise du fonctionnement de ces grandes oreilles ni de leur contrôle. Cette nouvelle proposition de loi répond, semble-t-il, à l’exigence de (relative) transparence formulée par le Conseil Constitutionnel.

 

 

La proposition de loi apporte les clarifications suivantes :

La France préservée

Il est redit qu’il s’agit des communications « émises ou reçues de l’étranger » et que la DGSE ne peut cibler la France. Plus précisément, le texte stipule que si, du fait du trajet aléatoire des signaux électroniques, le service de renseignement intercepte des communications échangées entre personnes ou équipement « utilisant des numéros d’abonnement ou des identifiants rattachables au territoire national, y compris lorsque ces communications transitent par des équipements non rattachables à ce territoire, ces interceptions sont instantanément détruites. »

 

 

Le Premier ministre au centre du dispositif

Cet article est le plus important pour la DGSE. Il stipule que la décision générale d’écouter tel ou tel « système de communication » revient au Premier ministre qui en assume donc la responsabilité. Autrement dit, c’est le chef du gouvernement qui désormais autorise l’interception des flux provenant des satellites de communication et des câbles sous-marins.

Cette disposition oblige également la DGSE à obtenir l’autorisation des Premiers ministres futurs si elle veut écouter de nouveaux moyens de communication. Le but est notamment d’éviter que ne se reproduise l’épisode de 2008. A l’époque, la loi ne permettait pas à la DGSE d’écouter les câbles sous-marins. Pour passer outre, elle avait obtenu à l’insu de la représentation nationale la signature du décret secret évoqué dans la précédente mouture de la loi.

 

 

Le big data légalisé

Le Premier ministre « autorise l’exploitation non individualisée des données de connexion interceptées ». Il s’agit de la reconnaissance publique que la DGSE intercepte des flux et pas seulement des communications individuelles et qu’elle analyse les « big data » ainsi récoltées. Le texte ajoute que « ces autorisations [délivrées pour un an] déterminent la ou les finalités poursuivies ainsi que les types de traitements automatisés pouvant être mis en œuvre. »

 

 

Les pays cibles des grandes oreilles

Le paragraphe le plus novateur stipule que le Premier ministre autorise l’écoute de « zones géographiques [donc des pays ou des régions] », d’ »organisations », de « personnes » ou de « groupes de personnes ». C’est la première fois qu’un texte officiel confirme que la France écoute elle aussi le monde, que la DGSE agit comme la NSA (avec, certes, moins de moyens). On remarquera que le législateur n’interdit pas l’écoute de dirigeants étrangers, ennemis ou amis…

 

 

Contrôle théorique

La Commission Nationale de Contrôle des Techniques de Renseignement (CNCTR) « dispose d’un accès permanent, complet et direct aux renseignements collectés, aux transcriptions et extractions réalisées […] et peut contrôler à sa demande les dispositifs techniques ». Sur le papier, les écoutes de la DGSE sont donc bien contrôlées. Tout dépendra des moyens dont la future CNCTR va disposer.

 

 

Destruction possible

La CNCTR peut recommander au Premier ministre la destruction d’écoutes non conformes. Si celui-ci refuse, elle peut saisir le Conseil d’Etat pour trancher. Une disposition originale.

 

 

Recours individuel

Comme pour les écoutes intérieures, « toute personne souhaitant vérifier qu’aucune mesure de surveillance [par la DGSE] n’est irrégulièrement mise en œuvre à son égard » peut saisir la CNCTR. Celle-ci notifie à la personne en question qu’il a procédé aux vérifications nécessaires « sans confirmer ou infirmer la mise en œuvre de mesures de surveillance ».

 

 

Délais de conservation

La loi définit des délais de conservation des interceptions qui s’étalent entre un an pour les communications à huit pour les renseignements chiffrés en passant par six pour les données de connexion.

 

 

Le texte du projet de loi :

 

 

 


Denis JACOPINI est Expert Judiciaire en Informatique, consultant, formateur et chargé de cours.
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Source : http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20150909.OBS5547/exclusif-la-nouvelle-loi-sur-les-ecoutes-de-la-dgse.html

Par Vincent Jauvert

 

 

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