La propriété intellectuelle à l’épreuve de l’impression 3D

Le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA) a introduit en juillet 2015 une nouvelle commission dédiée à l’impression en trois dimensions. Présidé par le conseiller d’Etat Olivier Japiot, ce nouveau cercle de travail aura pour mission de rédiger un rapport pour le mois de juin 2016 sur les nouveaux enjeux de la propriété intellectuelle soulevés par la démocratisation de l’imprimante 3D.

 

 

L’impression 3D est donc en passe de devenir personnelle : il est aujourd’hui possible d’imaginer, dessiner, modéliser puis fabriquer un objet quelconque. De manière plus troublante, il sera bientôt concevable de scanner n’importe quel objet acheté dans le commerce, pour le reproduire à l’infini. Par exemple, la copie d’un fauteuil dessiné par Philippe Starck est aujourd’hui techniquement possible. Sans aller jusqu’à parler d’une « quatrième révolution industrielle », il est certain qu’un changement de paradigme s’opère peu à peu, ce qui soulève des enjeux évidents en matière de propriété intellectuelle.

Car même si beaucoup d’acteurs de ce nouveau marché se positionnent en faveur d’une libre diffusion des contenus imprimables, en open source ou via les licences Creative Commons, le développement de l’impression 3D provoque déjà de nombreuses atteintes aux droits de propriété intellectuelle des artistes, inventeurs et de tous les auteurs d’oeuvres de l’esprit.

 

 

L’ensemble des composants de la propriété intellectuelle sont concernés par l’impression en trois dimensions

Le bouleversement lié à l’apparition du MP3 sur le marché de la musique ne touchait que le droit d’auteur, tandis que le l’impression 3D nécessite d’envisager l’ensemble de la propriété littéraire et artistique, ainsi que la propriété industrielle. L’enjeu réside autour de la contrefaçon des biens protégés : celle-ci sera caractérisée en fonction de l’usage affecté à l’objet imprimé.

 

De manière générale, l’usage collectif, public, ou même commercial d’un tel objet permettra de qualifier un acte de contrefaçon. Tout individu imprimant un objet portant atteinte au droit d’auteur, aux dessins et modèles ou même à un brevet sera qualifié de contrefacteur. Concernant l’utilisation illicite d’une marque déposée, la jurisprudence impose un usage dans la vie des affaires pour reconnaître une contrefaçon.

 

Dans le cas contraire, un usage strictement privé de l’objet imprimé permettra d’échapper aux sanctions rattachées à la contrefaçon. Plus spécifiquement, concernant le droit d’auteur, les objets imprimés en 3D bénéficient de l’exception de copie privée. Ce régime spécifique autorise « les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective ». Actuellement, la copie privée s’applique majoritairement aux contenus audiovisuels et musicaux, ce qui pose la question de la congruence d’un tel régime avec l’impression 3D.

 

 

L’exception de copie privée applicable en l’état ?

Le Code de la propriété intellectuelle dispose en effet que les exceptions de copie privée « ne peuvent porter atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur. » C’est sur ce fondement qu’un individu a été débouté par le juge de sa demande de faire lever les mesures techniques de protection (MTP) d’un DVD car il souhaitait en offrir une copie à ses parents. Il est dès lors possible de penser que les MTP, qui empêchent efficacement l’atteinte aux droits de propriété intellectuelle rattachés à un film DVD, pourraient s’appliquer de manière analogue aux fichiers 3D en limitant le nombre d’impressions. Cette protection semble d’autant plus souhaitable que l’impression 3D décuple les potentiels préjudices des titulaires de droits d’auteur. Le scan et l’impression 3D d’une douzaine de chaises design à partir d’une permettront une économie substantielle pour le copiste, et par conséquent un manque à gagner démultiplié pour le propriétaire des droits sur le design industriel du meuble reproduit. L’exception de copie privée appliquée à l’impression 3D voit dès lors son efficacité limitée par la possible multitude des copies. Bien sûr, il est possible de copier un album de musique à l’infini, mais il ne viendrait probablement pas à l’esprit du consommateur d’en acheter plusieurs pour en avoir un dans sa voiture, un chez lui et un au bureau. Le manque à gagner est réel pour les propriétaires des droits de l’album, mais moindre que pour un bien mobilier.

 

De surcroît, le Sénat a ce mois-ci rejeté l’idée d’une redevance copie privée pour les imprimantes 3D, telle qu’elle existe déjà pour les supports de stockage (CD vierges, clés USB…) pour compenser le préjudice des artistes. L’argument principal des parlementaires a été d’affirmer que la copie 3D est une contrefaçon, donc illicite, et qu’une redevance ne peut s’appliquer à une activité illégale. Le Ministre de l’économie a ajouté qu’il n’était pas souhaitable de freiner le développement des acteurs français du domaine de l’impression tridimensionnelle.

 

En revanche, lorsqu’un objet sera imprimé après avoir été dessiné par le consommateur lui-même, ou téléchargé en open source, il ne sera pas possible de caractériser un acte de contrefaçon. Une telle utilisation de l’imprimante 3D ne sera qu’une extension du « do it yourself » (DIY) qui est de plus en plus en vogue. Certains professionnels l’ont compris, à l’image de l’enseigne Castorama qui a pour projet de créer une plateforme en ligne dédiée aux fichiers 3D permettant l’impression de pièces détaché d’électroménager ou de bricolage directement chez soi. Ce nouveau service créera une concurrence sévère vis-à-vis des artisans et revendeurs de produits électroménagers.

 

 

De nécessaires solutions pour protéger les titulaires de droits de propriété intellectuelle sans entraver l’avancement technologique

Les auteurs ont déjà la possibilité de procéder à un dépôt en ligne de leurs fichiers 3D auprès d’une société de gestion de droit, ou directement chez un notaire ou un huissier qui rédigera un procès verbal qui justifiera de la date de création de l’oeuvre. Cette démarche a pour utilité de prouver l’antériorité de la création, mais ne prémunit pas l’auteur contre les risques de contrefaçon. À cette fin, il pourrait être efficace de développer des services de « streaming 3D », ne permettant l’impression d’un fichier qu’une seule fois, grâce à des mesures techniques de protection. Une telle restriction pourrait par ailleurs s’accompagner de l’impossibilité de modifier l’oeuvre imprimée, faisant ainsi respecter son intégrité.

 

Une autre option consisterait à implanter dans toutes les imprimantes 3D un système de vérification de la licéité de l’impression. Connectée à internet, l’imprimante pourrait rechercher l’existence de droits de propriété intellectuelle sur l’objet, ainsi que l’absence de caractère dangereux. En effet, les pièces détachées d’armes à feu sont facilement reproductibles, ce qui a pour principale conséquence l’absence de numéro de série et donc l’impossibilité de toute traçabilité. Il est cependant nécessaire de noter qu’une telle surveillance constituerait une immixtion manifeste dans la vie privée des utilisateurs, ajoutant une nouvelle dimension au problème de l’exploitation des données personnelles.

 

Aujourd’hui, la distance entre l’objet original et la copie imprimée en 3D demeure importante, de telle sorte que la confusion n’est pas possible. Il est concevable de reproduire une forme, mais pas encore les mécanismes intérieurs, qui relèvent pour certain de la « 4D ». De nombreuses contraintes techniques demeurent mais la rapidité des progrès accomplis permet d’entrevoir l’étendue des enjeux juridiques de demain, et il ne fait aucun doute que ce sujet, qui alimente beaucoup de fantasmes, sera l’objet de débats passionnés.

 

 

 


Denis JACOPINI est Expert Judiciaire en Informatique, consultant, formateur et chargé de cours.
Nos domaines de compétence :

  • Expertises et avis techniques en concurrence déloyale, litige commercial, piratages, arnaques Internet… ;
  • Consultant en sécurité informatique, cybercriminalité et mises en conformité et déclarations à la CNIL ;
  • Formateur et chargé de cours en sécurité informatique, cybercriminalité et déclarations à la CNIL.

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Source : http://www.village-justice.com/articles/propriete-intellectuelle-epreuve,20280.html

Par Augustin Deschamps juriste chez LegaLife

 

 

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